Commémoration de l'Armistice : l'allocution de Jean-Pierre Blazy
Commémoration du 11 novembre
Allocution de Jean-Pierre BLAZY,
Maire de Gonesse
Au moment où Jean Jaurès prononce son dernier discours public en France le 25 juillet 1914, la rupture des relations diplomatiques entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie venait de se produire, précipitant la mise en marche des alliances jusqu’au déclenchement du conflit généralisé. Jaurès prévenait une ultime fois : « Songer à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de 300000 hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel désastre, quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! et voilà pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer que le crime ne sera pas consommé ». Il espérait encore que la seule chance pour la paix résidait dans la mobilisation des peuples, de « tous les prolétaires, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et nous demandons à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar. » Six jours plus tard le 31 juillet Jaurès, « ce héros tué en avant des armées » selon les mots de l’écrivaine Anna de Noailles, était assassiné à Paris. Le lendemain 1er août, la France décrète la mobilisation générale. L’Europe entre dans la Première Guerre mondiale.
Plus de 9 millions d’hommes ont péri au combat, dont 1,3 million de soldats français. Parmi eux, 153 Gonessiens sont morts pour la France.
D’autres sont revenus du « massacre ». Je veux évoquer l’un d’entre eux, Gonessien bien sûr, mon grand-père Pierre Blazy. Il était ouvrier ébéniste à Gonesse de la classe 1899. Il a 34 ans lorsqu’il est mobilisé le 3 août 1914. Jusqu’au 16 décembre il est au 9e régiment territorial d’infanterie qui opère principalement à partir de Soissons dans différentes directions. Puis au 102e régiment d’infanterie jusqu’au 20 décembre 1915, date à laquelle il passe au 128e régiment d’infanterie. Après la Champagne et l’Argonne, il est engagé dans les combats de la Somme et de Verdun en 1916. Le 6 avril 1917, il est au 4e régiment du génie toujours dans les mêmes secteurs pendant toute l’année. C’est probablement de cette période de la guerre de tranchées que date le seul témoignage conservé de Pierre au front, très bref, écrit au dos d’une photographie qui le montre parmi un groupe de six soldats : « … Tant qu’à moi ça va assez bien, car en ce moment nous sommes sous le bombardement des Boches, nous avons eu des journées et des nuits très dures… Pierre qui vous embrasse de loin. ». Enfin l’année 1918. Le 4e génie participe à la contre-offensive en riposte à la dernière offensive allemande où le rôle des sapeurs est essentiel, à la fois combattants et travailleurs, pour accompagner les éléments d’infanterie. C’est seulement deux mois et demi après la signature de l’armistice que le soldat Pierre Blazy est « mis en congé illimité de démobilisation le 30 janvier 1919 ».
Après la guerre, la France des villes et des villages s’est couverte de monuments aux morts. Celui de Gonesse a été inauguré en 1920 dans le cimetière communal. En 2014 lorsque nous avons lancé la célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale, nous avons avec le monde combattant choisi d’édifier un nouveau monument ici, dans l’espace civique, parmi les vivants, pour mieux assurer le devoir de mémoire. Pour interpeller aussi et pour faire faire réfléchir. Je me réjouis aujourd’hui de voir tant de monde et de jeunesse, de l’école Jean Jaurès avec les enfants, leurs parents et les enseignants que je veux vivement remercier de leur initiative, jusqu’aux jeunes du conseil municipal des jeunes et du service municipal des jeunes.
105 ans après l’armistice du 11 novembre 1918, près de 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale que nous commémorerons l’année prochaine, la paix est toujours fragile, incertaine et sans cesse menacée. C’est le sens de cet enfant qui tient dans ses mains la pierre de la paix qu’il veut déposer sur le mur mais ne peut le faire. Aujourd’hui 11 novembre 2023, cet enfant français, il est Ukrainien, il est Russe, il est Israélien, il est Palestinien, il est enfant de l’humanité.
L’historien Marc Bloch écrivait en 1940 dans L’étrange défaite : « Le passé a beau ne pas commander le présent tout entier. Sans lui, le présent demeure inintelligible ». Il y a cent ans le 24 juillet 1923 était signé le dernier des traités de paix de la Première Guerre mondiale, le traité de Lausanne qui rectifiait le traité de Sèvres signé trois ans plutôt qui avait décidé du partage entre les vainqueurs de l’Empire Ottoman, France, Royaume-Uni, Grèce et Italie. Le mouvement national turc de Mustapha Kemal victorieux réussi à s’imposer grâce au soutien de la Russie et en raison des prétentions excessives desGrecs soutenus par les Anglais, moins par les Français et les Italiens. En 1920 le traité de Sèvres avait également décidé que la Syrie, l’Irak et la Palestine, la partie arabe de l’empire turc, étaient placées sous mandats britannique et français. Il avait été envisagé en 1916 que la Palestine serait placée sous administration internationale et l’année suivante les Anglais se déclaraient favorables à l’établissement d’un foyer national pour le peuple juif, « étant bien entendu qu’il ne sera rien fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des communautés non juives… » selon les termes de la déclaration Balfour. On voit bien l’origine il y a un siècle de ce qui demeure une des questions majeures à résoudre pour gagner la paix au Moyen-Orient.
En 2010, Stéphane Hessel, grand résistant et diplomate, constatait le recul de la première décennie du XXIe siècle par rapport aux progrès intervenus depuis 1948 et la Déclaration universelle des droits de l’homme, recul en partie dû à la crise économique, à l’accroissement des inégalités de richesse et à l’intervention américaine en Irak. Il nous invitait à nous indigner. Il ajoutait : « Nous sommes à un seuil, entre les horreurs de la première décennie et les possibilités des décennies suivantes ». Dix ans après sa disparition, le recul se poursuit toujours au début de la troisième décennie, avec le nouvel embrasement débuté le 7 octobre dernier par l’attaque du Hamas contre Israël et avec la guerre en Ukraine depuis les débuts de 2022. Plus de dix-huit mois après ses débuts, celle-ci est devenue une guerre de positions. Si l’agresseur est bien la Russie, ce sont les États-Unis qui en 2008 avaient ouvert la possibilité d’accueillir l’Ukraine dans l’OTAN, une ligne rouge à ne pas franchir pour les Russes. En 1991 lorsque l’Union soviétique s’est effondré, le monde était encore partagé entre deux pôles, c’était le temps de la guerre froide. Les États-Unis deviennent alors le centre unique du monde jusqu’à la fin de la seconde décennie de notre siècle. L’ascension économique et militaire de la Chine et le retour de la puissance russe contestent maintenant la domination américaine. Nous voilà, nous Européens et Français alliés des États-Unis à nouveau engagés dans des rivalités géopolitiques avec la Chine et la Russie, des nouvelles guerres froides aussi dangereuses que la précédente.
Dangereuses également à l’intérieur de nos sociétés démocratiques car elles divisent d’autant plus, lorsqu’ ici en France les fanatismes religieux justifiant les conflits par les seules identités religieuses, provoquent la recrudescence des actes antisémites et l’assassinat des enseignants parce qu’ils enseignent l’histoire. Alors oui indignons-nous plus que jamais !
Du sacrifice des Français morts pour la France il y a plus d’un siècle à ceux qui aujourd’hui en Europe comme au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde sont victimes des affrontements entre les Etats, nous devons toujours avoir à l’esprit pour agir le mot de Jaurès : « c’est qu’au fond il n’y a qu’une seule race : l’humanité ».
Vive la France, Vive la République, Vive la Paix.